Alternative Couleur Citoyenne (Tours)

Dans un atelier d’écriture

vendredi 20 janvier 2006 par Hafiline

Où, en plein centre populaire de la ville, la beauté et l’émotion sont venues se ficher dans des mots.

Donc j’étais là, en plein quartier populaire au centre de la ville, pour écrire et ensuite réciter (ou déclamer comme on voudra) et je ne savais pas très bien ce que j’y faisais ni ce que les autres allaient penser de moi, et surtout l’accoucheur de ces enfants qui étaient en moi et dont je ne savais pas encore s’ils seraient des trisomiques, ou des paralysés de naissance, ou des débiles profonds ou les plus beaux bébés du monde, et en même temps je me disais que c’était là un quartier où je me sentais bien et ça me rappelait un autre lieu où j’allais jouer en contrebas de la grande maison bourgeoise de ma grand-mère qui avait à sa ceinture un gros trousseau de clefs cliquetantes et elle était désespérée parce que j’allais jouer pieds nus avec les enfants pauvres de la maison d’en bas. J’ai toujours fait ça dans toutes les écoles où je donnais mes goûters aux plus pauvres. Donc, je me sentais bien sur la grande avenue des immeubles populaires avec les paraboles qui captaient les messages des pays de naissance et devant moi il y avait un couple qui marchait.

Je marchais derrière lui et tout de suite j’ai senti qu’il se passait quelque chose entre ce couple et moi même s’ils ne savaient pas que j’étais là, en même temps je croisais des êtres visiblement souffrant de carences de toutes natures, en particulier ils étaient complètement aveugles et ne voyaient pas le couple fantastique dont je me rapprochais imperceptiblement pour tenter de l’examiner sur toutes les coutures, j’avais peur de ne pas y arriver, et enfin voir leurs visages et pas seulement admirer la manière seigneuriale dont ils se déplaçaient. Je ne savais pas comment m’y prendre, ma timidité naturelle, celle dont j’allais me débarrasser à l’atelier d’écriture, elle me collait à la peau dans cette allée populaire qui était en partie mon terrain d’aventure et de vie. C’était surprenant cette faim de voir en face la femme visiblement arabe dans son costume européen un peu bariolé et ses cheveux teints au henné, à sa démarche elle devait avoir une soixantaine d’années, elle paraissait toute petite à côté de son mari un grand type mince d’une élégance rare qui devait lui coller à la peau même s’il était en bleu de travail et ce couple même de dos me paraissait fantastique de beauté et il fallait absolument que je le voie de face même si je n’osais pas encore le faire, je croisais des regards intrigués et je comprenais que je devais avoir l’air un peu égarée et je me suis lancée. Inventant pour moi toute seule des prétextes idiots, comme par exemple suivre des yeux une feuille morte ou répondre à un appel inexistant, je me suis retournée et les ai regardés par en dessous ou par le côté sans qu’ils s’en aperçoivent ; ça n’était pas facile mais il fallait que je le fasse pour garder en mémoire la photographie de ce couple d’une surprenante beauté, je me suis retournée et retournée encore, empilant des instantanés, mais il me fallait absolument les regarder dans la durée et j’ai pris mon courage à deux mains ; je me suis retournée d’un coup et je leur ai dit qu’il fallait m’excuser mais que je ne pouvais pas faire autrement tellement je les trouvais beaux et leur sourire a réveillé en moi une émotion que je croyais morte depuis la mort de mon mari arabe lui aussi, tout mon corps était retourné d’émotion et la femme m’a dit combien mon visage à moi était beau aussi et je sais qu’il n’est pas beau mais il devait projeter cette émotion qui m’étreignait et peut-être me transfigurait.

Jacqueline H. alias HAFILINE.


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